Se questionner sur l’ambivalence constante entre se faire plaisir et faire ce qu’il est nécessaire pour son accomplissement démontre une prise de conscience de la difficulté à arbitrer le flux de nos deux hémisphères cérébraux.
Nous sommes constamment sciés entre ce que l’impulsion nous incite à faire et ce que la responsabilité nous recommande de réaliser.
D’un côté, il y a les promesses d’un avenir meilleur, d’une quiétude de l’esprit et d’une satisfaction de soi, de l’autre, la gratification instantanée, le plaisir éphémère, suivi du regret saumâtre.
Deux êtres peuplent notre esprit et dictent notre conduite : un enfant gâté, incapable de se tenir en place, se permettant toutes les indulgences. Et un sage, réfléchi et rationnel, souhaitant ce qu’il y a de mieux pour notre devenir, nous récompensant par la sérénité du travail accompli, nous promettant de larges récompenses pour peu qu’on écoute ses conseils sur le moment.
Une envie surgit, nous prend de court; on se retrouve à courir pour l’accomplir, sans même réaliser ce qui nous arrive; on ne se contrôle plus, on met à faux toutes les théories du libre arbitre, on reste dans cet état d’automatisme somnolant, puis à un moment donné, une voix subreptice commence à monter du fond de notre Être, mais sans qu’on arrive facilement à l’étouffer, car on est trop aspiré par ce qu’on fait ou ce qu’on dit, on est absorbé, happé.
Des piqûres douloureuses commencent alors à s’accumuler, deviennent des pensées qui viennent nous hanter à différents moments de la journée, et on se décide alors de s’atteler au travail. On s’y met lorsque la pression est trop forte ou lorsqu’on risque notre avenir et notre carrière. On déploie alors des efforts titanesques pour essayer de terminer dans les temps.
Lorsqu’on y arrive, on se dit que c’est notre nature que de laisser ça au dernier moment et d’y arriver malgré tout, on se considère alors avec une certaine fierté comme des originaux rebelles. Lorsqu’on n’y arrive pas, on s’admoneste et on se promet de changer.
Vous reconnaissez-vous ?
On vous invite à une soirée déterminante pour votre carrière mais intimidante par les invités présents. Le sage tout joyeux vous décide à y aller : « Une opportunité inespérée! Peut-être qu’une rencontre déterminante vous y attend ? ». L’enfant n’agit pas pour l’instant, malicieux et rusé, il attend le dernier moment : juste avant le départ. Il vous fait alors dire à vous même qu’il serait bon de se reposer un instant avant de partir. Vous vous affalez sur un fauteuil et le sommeil vous attrape malgré votre vigilance. En vous réveillant, vous vous convainquez qu’il est déjà trop tard pour partir à la soirée.
Le matin, vous sentez les prémisses d’une maladie, l’enfant surgit : « T’es malade! Repose-toi. » Vous entrez alors dans un état d’esprit spécial que vous croyez devoir adopter par accoutumance : l’état d’esprit d’un souffrant. Étant malade, toutes les indulgences vous sont permises et vous ne devez exercer aucune pression sur vous-même. Vous essayez alors de vous oublier par le sommeil ou par la télévision, sans réaliser que vous êtes parfaitement capable de mener une journée presque normale si ce n’est cette affabulation que vous vous êtes racontée : toute personne malade doit garder le lit.
Vous avez un rendez-vous, vous décidez d’y aller avant l’heure, surtout que vous avez résolu dernièrement d’être quelqu’un de ponctuel. L’enfant vous rappelle que le rendez-vous n’est qu’à une dizaine de minutes de votre lieu actuel, il vous fait croire qu’il suffirait de partir un quart d’heure avant, vous réduit le temps de trajet, vous fait entrer dans un monde ordonné où tout se déroule comme vous l’avez prévu. À l’heure du départ, il vous encourage à consulter une dernière fois votre email, les minutes passent sans que vous vous en rendiez compte car votre esprit est happé par ces accès ponctuels de plaisir que l’email peut procurer. Vous regardez l’heure et vous réalisez votre retard. Vous accourez vers les transports, puis vous commencez à vous trouver des excuses auprès de vous et auprès de la personne qui vous attend.
Durant un exercice physique intense, l’enfant vous dit que vous avez maintenant assez souffert, qu’il est temps d’aller vous reposer. Il vous fait croire que votre corps a déjà atteint ses limites, le sage essaie tant bien que mal de vous dire que l’homme possède une volonté illimitée, qu’il restera toujours un souffle pour avancer de l’avant. Pour peu qu’on accepte de souffrir quelques instants, vous dépasserez ces limites et ce qui vous a semblé douloureux aujourd’hui ne serait qu’un picotement imperceptible demain. Vous ne voulez rien entendre, vous rentrez vous reposer tout en vous plaignant de votre manque d’énergie ces derniers temps.
Assis à votre chaise, vous devez commencer un projet important mais ennuyeux, vous décidez après moult agissements de votre esprit d’y consacrer deux heures. Vous êtes pendant un moment apaisé et rassasié à cause de cette décision responsable que vous venez de prendre. L’enfant vous félicite, puis l’air de rien vous suggère d’aller prendre un verre d’eau avant de commencer cette tâche ardue. Vous cédez à l’appel malgré les objections du sage.
En prenant le verre d’eau, l’enfant vous suggère qu’il serait bon maintenant que vous vous êtes levé de regarder votre courriel ou votre TV juste pour quelques minutes : « Tu mérites au moins ça! Tu vas travailler pour deux longues heures après! ». Ces machines s’occupent du reste, ils vous font entrer dans un ordre de monde différent, où le temps ne s’aperçoit pas et où les heures défilent à un rythme effréné.
Un face à face quotidien
L’enfant parvient à créer les excuses les plus farfelues et à vous les représenter comme les plus intelligentes des raisons. C’est un irrationnel rusé qui répond avant tout aux plaisirs de l’instant. Puis vous abandonne au sage qui tristement essayait depuis le début de vous tempérer.
Le sage nous consent d’être ponctuel, de rendre les travaux dans les délais, de mettre de côté les plaisirs instantanés et éphémères au profit d’une récompense durable, de nous éloigner de notre confort quotidien pour éprouver le vrai plaisir des sens que l’on éprouve lorsqu’on réussit une difficile épreuve.
Le sage représente la force de votre volonté. L’enfant représente la frénésie de vos impulsions.
Des recherches récentes conduites par Roy Baumeister de l’université de Floride ont comparé la volonté à un muscle : tel un muscle, votre volonté pourrait s’atrophier si elle n’est pas souvent mise à l’épreuve, si par exemple vous tombiez dans une routine de confort et d’oisiveté. Tel un muscle, votre volonté vous drainera de l’énergie si vous faites souvent appel à elle. D’autres études ont montré que même de simples exercices physiques, qui font donc appel à la discipline et à la volonté, conduisent leurs adeptes à diminuer le tabac, la caféine et les dépenses impulsives.
À vous donc de choisir le personnage à qui vous céderez le plus souvent : l’enfant gâté? ou le sage réfléchi? Sachez simplement que le personnage que vous favoriserez prendra le dessus sur son adversaire.
C’est celui qui dominera votre personnalité.
Par Gilles J. Coutu, Ing. M.Sc.